Bien.
Effectivement, voir, sous nos yeux s’égrener les secondes qui ont crucifié Primoz Roglic aura été un moment à part, un de ces moments qui, à l’instar de celui du duel Fignon / Lemond , restera probablement dans l’histoire du tour.
Mais doit-on pour autant considérer que ce dernier retournement de situation comme étant LE sport ? En gros, est-il convenable de se délecter ainsi de la défaite d’un champion, donc la victoire d’un autre ? Pas sur…
Pour tout vous dire, il me reste, après avoir été hypnotisé par ma télé, un gout amer dans la bouche. En 89, j’avais 24 ans. Sur le coup, La défaite de laurent Fignon ne m’avait pas plus choqué que cela. Je n’y voyais que du « sport »…
Aujourd’hui, à 55, je vois d’abord la détresse et la terrible déception d’un homme, d’un champion. Au bout de 3 semaines d’efforts intenses.
Cette défaite de Primoz n’est pas « normale ». D’abord elle n’est pas logique, même si elle l’est sportivement parlant. Et puis, humainement, j’y trouve une espèce de voyeurisme qui me déplait. Une sorte de mise à mort « live » dont la plèbe se délecterait.
La cruauté, n’est pas, je crois, une valeur du sport. Nul besoin d’être cruel pour vaincre et remporter la victoire. Or, ce genre de défaite est tellement cruelle…
On peut parler du but des français à la dernière seconde, contre l’Italie, en finale d’un championnat d’Europe je crois ou encore de cette arrivée au sprint d’une transat entre Eugene Riguidel et Mike Birch, de mémoire. Mais après trois semaines d’un combat de chaque seconde, après avoir pris la course en main, faire rouler encore et encore ses équipiers, avoir montrer une maitrise rare, il y a comme une injustice.
Alors, chacun voit midi à sa porte, j’indique ici simplement que la victoire de Pogacar et la défaite de Roglic me laisse dubitatif, me dérange presque. On gardera bien sur ce moment dans nos mémoires de cycliste. Mais d’homme, j’en suis moins sûr.
Laurent Fignon a écrit, en ouverture de son livre autobiographique, cette phrase devenue célèbre.
Alors qu’on lui disait :
– « Ah, je me souviens de vous ! vous êtes celui qui a perdu le tour pour 8 secondes ». Et Fignon, en champion plein d’orgueil et de justesse, de lui répondre :
– « Non-monsieur, je suis celui qui en a gagné deux ».
Enorme et tellement révélateur du cataclysme que peut créer chez un sportif de haut niveau – et un homme- une telle défaite. Symbole, aussi, de l’erreur d’analyse d’un spectateur lambda
C’est un peu comme si vous bossiez depuis 15 ans dans une société, que vous en soyez le dauphin légitime, celui qui a démontré qu’il était à la hauteur de la tache et qui, à l’ultime moment, se fait souffler le poste par un brillant, jeune et inattendu concurrent. Un cauchemar qui déstabiliserait n’importe qui
Alors, je voudrais dire quelques mots à Primoz Roglic.
Cher Primoz,
Je retiendrai de votre tour de France 2020 que vous avez été solide, intelligent et un excellent leader. Et un beau maillot Jaune. Vous avez pris vos responsabilités, vous avez fait tout ce qu’il fallait pour gagner. A tel point que nous n’avons pas vu qu’il y avait une part de bluff là-dedans. Que dès le départ, Pogacar était, intrinsèquement, plus fort que vous.
Vous avez, en fait, joué au poker. Avec d’excellentes cartes mais pas les meilleures. Peu de champions auraient été capable de bluffer comme vous l’avez fait.
Vous aviez un carré d’As, il avait une quinte flush. Qui peut s’en vouloir ?
Dormez bien. Passez à autre chose. Famille, femme, enfant. Barbecue (light)avec vos amis, cinéma, etc…
Quelques bonnes bières peut être. Et soufflez. Et revenez.
Pour gagner.
Vous avez démontré, au passage, votre classe en allant, franchement, féliciter votre bourreau.
Vous êtes un champion et surement un mec bien…
Au plaisir de croiser votre chemin.