Les vélos de « Courses » vont-ils disparaître ?

Cette question qui, de prime abord, paraît grotesque, nous est apparue lorsque Wilier a posté les photos de son nouveau vélo, le RAVE.
Il m’a fallu au moins deux minutes pour comprendre que ce n’était pas un vélo de route mais un « Allroad ». Bien…
Le dernier Allroad que j’ai testé, c’était mon Audi A6 qui a fini en aquarium et sans suspension.
Bref, maintenant, je me méfie…

Mais de quoi on parle, au fond ?

CECI N'EST PAS UN VÉLO DE COURSE ( Rave Wilier)
ÇA NON PLUS...(Caledonia 5 Cervélo)

Le vélo de route a déjà failli disparaître il y a 30 ans, lors du raz de marée du VTT.

Soudainement, on ne vendait plus que des VTT au pedigree incertain et tributaire d’une masse volumique pour bodybuilders ! Mais le déferlement de ces nouveaux vélos sur le marché n’a pas eu à en payer le prix. En tout cas, pas encore…
Il se trouve que le VTT n’y était pour rien car le déclin du vélo de route avait déjà commencé depuis bien longtemps.
La route n’avait plus la cote.
Sport difficile s’il en est, déjà dangereux et un peu ringard, le sex-appeal de la route avait sérieusement du plomb dans l’aile.
De plus, un vélo de course coûtait nettement plus cher qu’un short et des chaussures de foot, les courts de tennis fleurissaient dans les « domaines » autour des grandes métropoles et les sports de glisse avaient la cote. Le ludique l’avait emporté sur l’effort…
Tout une époque.

J’étais alors chef de rayon cycle dans le plus grand Décathlon de France à Herblay, Val d’Oise, 95. La gamme route y était pour le moins discrète… et de toute façon ne se vendait pas. Certes, Décathlon n’était assurément pas l’endroit rêvé pour un coursier mais non seulement nous n’étions absolument pas hermétiques à la « route » mais j’avais aussi deux vendeurs qui courraient en 2ème « caté » et de fait, notre rayon voyait plus débouler des coureurs de bon niveau avec qui nous avions des discussions endiablées sur Colnago, Wilier, Look, Time ou Pinarello.
Nous étions déjà dans « l’ancien monde ».
Le fait était que la mode des cyclos sportives n’existait pas encore et que les vélos qui se vendaient en face de notre Décathlon, chez un des plus célèbres détaillants d’île de France, étaient l’affaire de coureurs tous licenciés.
À partir de 1990, pendant 5 ans, tout le monde s’est acheté un VTT.
Des cyclosportives aujourd’hui célèbres se sont bien créées alors mais la route était encore bien loin de ce qu’elle allait redevenir à partir des années 2000/2005…

Côté VTT, l’embellie n’a cependant eu qu’un temps et le déchet a été immense. Entre ceux qui croyaient qu’un VTT, ça marchait comme un vélo de course, ceux qui pensaient balader facilement leur bout’chou sur leur siège bébé (de 10 kg) et enfin ceux qui n’ont jamais rien compris aux triples plateaux, il y en a eu du déçu…

Renaissance !
Et puis, fin des années 90, début 2000, le retour du vélo de route est aussi sensationnel qu’inexplicable.
Mais en cherchant bien, on peut avancer plusieurs raisons à cet état de fait : un certain alignement des planètes, d’abord. Le sport en tant qu’activité « soft » pour rester en forme qui revient en odeur de sainteté en France, ensuite l’écologie qui se développe et enfin, les déçus du VTT qui comprennent qu’un vélo de route, ça roule mieux. Restent les « jeunes vieux » de quarante ans et plus qui trouvent que rouler sur un vélo et sur la route, c’est bon pour le cardio et les copains.
Parallèlement, le carbone s’est définitivement invité à la fête, les transmissions Compact arrivent et des marques de fringues comme Rapha permettent à certains de s’extraire du look vieillot et ringard du cycliste typique pour se positionner comme pratiquant d’une activité moins ringarde. Certains parlent même de mode !

La « next generation »
Pendant ce temps, même s’il est devenu plus élitiste, le VTT reste synonyme de « cross », de forêt, de boue et d’aventure. Il attire toujours et reste largement le marché le plus rentable dans le secteur du deux-roues.
Parallèlement, en 2007, l’Acheteur Cycliste fait sa couverture sur le phénomène des vélos électriques.
Nous testons 7 vélos dont la moitié est non homologuée et un n’a même pas de pédale !
Les VAE lancent leur grande offensive… tout comme le Fixie.

De leur côté, Les cyclos sportives ont franchement décollé et attirent de plus en plus de « routiers ». Pour ma part, cela fait longtemps que j’ai rangé mon VTT au placard pour de flambants destriers ultralégers aux boyaux de 20 mm de section…
Tout le monde, ou presque, a enfin compris la grande « escroquerie » du marketing : le VTT, c’est très dur !
En soi-disant « balade » en forêt, nul n’est à l’abri d’un coup de cul destructeur sur son parcours. Et puis, même si c’est parterre, c’est plus « mou », prendre une gamelle en VTT est nettement plus courant que sur la route. Ça fait marrer les potes mais au bout d’un moment, ça peut faire mal !

Bref, les plus vieux se trouvent face à un problème : comment continuer à rouler, en se faisant plaisir, en évitant les voitures et en « chiant » le moins possible ?

Les constructeurs en embuscade
Cette question, les constructeurs se la posent déjà depuis longtemps.
Mais le marché n’était pas encore prêt.
Il y eut la tentative des « hybrides », des « trekking » et compagnie.
En fait, il s’agissait ni plus ni moins que de l’ancêtre du Gravel : des vélos à roues de 700 à pneus de 28 de section, cadre plus court mais de « course », potence plus relevée, cintre plat voir type « moto » et changement de vitesses type VTT, version double plateaux.
Le tout en entrée de gamme, aucun constructeur, à l’époque, n’osant vraiment parier sur cette pratique .
Des vélos à l’étiquette vite collée sur le front comme « vélo de mémère ».
Ils furent pourtant les prémices du second raz de marée dans le vélo, des années plus tard…

« Hybrides », précurseurs du Gravel
J’adorais les Hybrides. Ça roulait vraiment bien, c’était plus rassurant qu’un course, la position était « cool » et si un chemin se proposait entre chez moi et mon lieu de travail, je pouvais couper sans crever ni rien casser tout en restant rapide. À l’époque, ils étaient souvent montés en groupe Shimano Alivio, le petit 105 version soft.
Des vélos injustement boudés…
C’est alors que les premiers Gravel apparaissent aux états Unis vers 2010.
Avec plus ou moins la même approche que lors de l’invention du VTT par Tom Ritchey et son pote Gary Klein vers 1976 sauf qu’au lieu de prendre un vélo de route et le trafiquer, on a pris un cyclo-cross et on l’a adapté à une pratique plus « cool ».
On tâtonne de l’autre côté de l’atlantique : pneus, potence, cintre, ça bricole dur afin que l’on obtienne une machine avec laquelle on puisse « cruiser » dans les long et larges chemins qui serpentent dans les contreforts de la Californie et plus globalement, le long de la côte sud ouest américaine.
Très vite, le résultat plaît. La mode, de nouveau, fait son œuvre : les vélos « Gravel » apparaissent chez les constructeurs qui y croient le plus.
Le coup est parti et à partir de 2014/2015, il y en a partout !
Pour des raisons de marketing, chacun tente de se singulariser.
Rapidement, du Gravel, on passe à l’endurance, à l’aventure puis, dans son extrême citadine, au « Commuting », cette désignation du trajet entre domicile et travail.

Les fabricants s’empressent de sortir des composants qui suivent le mouvement. Ils sont probablement à l’origine du succès phénoménal du Gravel : que ce soit en matière de transmissions, de roues, de pneus, de selles ou de poste de pilotage, les produits sortent comme des champignons et présentent des spécificités uniques comme des pignons de 52 dents à l’arrière ou des cintres dotés de « flare », cette forme qui envoie le bas des cintres vers l’extérieur libérant ainsi les poignets et réduisant drastiquement le « drop » des guidons de course ! Confortable, reposant tout étant plus aérodynamique qu’un guidon de VTT.
Désormais, les clients ont le choix et les promesses de ces vélos, contrairement au VTT sont tenues : le rendement est très bon, l’aero correct, le confort excellent.
Un Gravel, c’est donc une machine ultra-efficace, très confortable et dotée de transmissions qui permettent quasiment de grimper aux arbres !
Le Gravel est tout simplement l’aboutissement de nos vélos de « cross » des années 75, des demi-course trafiqués, avec guidon retourné et selle de Solex !

Une offre pléthorique tous azimuts
De nos jours, les Gravel savent donc tout faire.
Ou presque. Sur route, ils sont devenus, grâce aux manufacturiers créateurs de pneus d’une efficacité redoutable, rapides et reposants.
Le carbone, même si son emploi reste discutable, leur a apporté la légèreté. Le freinage disque la sécurité, même par temps maussade.
Dès lors, il devient parfaitement envisageable pour un « routier » de commencer à lorgner vers cette « discipline » d’autant qu’il est possible de s’offrir une seconde paire de roues, qui aura la tâche de transformer votre Gravel en pur routier.
Tout devient envisageable. Certains modèles poussent l’aérodynamisme très loin et permettent même de monter des prolongateurs !

Que reste-t-il aux purs « courses » ?
Plus grand-chose à vrai dire.
On a enfin à peu près compris en 2021 que le poids n’était plus en fin en soi.
Que dans les gammes des constructeurs, choisir entre un pur route moyen de gamme et un beau Gravel, devenait un « problème ». Et si…
Le dernier bastion du vélo de route, c’était, outre son rendement, sa pureté et son dépouillement.
Or, avec l’arrivée du freinage hydraulique et des tubeless, cette pureté des lignes a disparu alors que le Gravel s’affine de plus en plus et son approche de vélo façon « couteau suisse » fait de plus en plus réfléchir.
Heureusement, serait-on tenté de dire, sur la route, rien ne remplacera l’efficacité d’un beau vélo de course en matière de relance et d’aérodynamisme. Rien ne peut rivaliser en descente de cols. Enfin, côté géométrie, un vélo de course offre le plus souvent entre 3 et 8 tailles de plus qu’un Gravel. Mais qui en a réellement besoin ?
Il saute aux yeux que ces différences, seuls les compétiteurs s’en soucient vraiment afin de disposer d’une efficacité maximale.
On en revient donc aux années quatre-vingt-dix.

Les « cyclo » pour sauver les vélos de route ?
Le cyclosport suffira-t-il à sauver la « route » ? Rien n’est moins sûr.
Car le dernier danger qui plane sur les pures machines de route, c’est la disparition des épreuves.
Un paradoxe.
À l’heure où le vélo est partout, il est devenu quasi impossible d’organiser une épreuve sur route tant les contingences sont nombreuses, drastiques, et les risques grands.
Alors, doucement, petit à petit, les cyclosportives font moins recettes et disparaissent. Certaines résistent comme La Megève Mont Blanc ou La Corima, qui renaît de ses cendres pour 2022 mais… toutes avec une épreuve Gravel au programme !
On dit actuellement que la boxe risque de disparaître au profit du « MMA », cette boucherie organisée entre fous de la « baston » maximale. C’est l’air du temps.
Les Strade Bianche en Italie sur le Giro, les pavés du Nord sur le Tour, des arrivées sur des routes non bitumées et terriblement escarpées en Espagne.
Et si demain, le Tour de France inclut une étape de Gravel, il n’y aurait rien à redire.
Après tout, en 1930, le Tour, c’était plus ou moins du Gravel. Au moins en montagne.

Alors, à quand la première étape de Gravel sur le Tour et le vélo de route au clou ? …

RJ

Toujours pas un "route"...
En revanche, ça c'en est un ! Cherchez l'erreur !

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