Sport

Paris-Roubaix
Les jeux du cirque ou LE monument du cyclisme?

Ce week-end, la reine du Nord a repris ses droits. C’est le cas de le dire puisque avec 124 ans de retard, les femmes ont enfin pu arpenter le pavé ! Plus sérieusement, la pluie et les échappées aux longs cours ont façonné ce Paris-Roubaix de dingues. Mais, à y regarder de plus près, il y a beaucoup à dire…
Victoire au sprint de Colbrelli devant le phénoménal Florian Vermeesch et le naïf Van der Poel. @Bettiniphoto @TeamBahrainVictorious
L'organisation avait installé un "Bike wash" sur le parcours...
"Lizzie" Deignan, 1ère femme victorieuse à Roubaix après un exploit extraordinaire mais incompréhensible...

Enfin, Paris-Roubaix est de retour.
Cette course, qui choisit le plus fort des hommes sur un vélo, le plus chanceux et le plus filou, fait toujours rêver. Participants comme spectateurs.
Mais la pluie, après 20 ans d’absence, à souligner cette reprise post-covid. Comme un clin d’œil machiavélique. Une petite révolution.
Pour la première fois, on a aussi pu tester le tubeless et les freins à disques sur les pavés du Nord. Examen qui a démontré que d’un côté, le tubeless « increvable » crevait tout autant que le boyau et que parfois, si les disques ont prouvé leur efficacité, en cas de problème, de l’autre, qu’il fallait être un acrobate comme Christophe Laporte pour freiner en posant son pied sur le pneu arrière !

Les courses 
Deux échappées de près de 80 Km, chez les hommes et chez les femmes. Seule, pour les filles, avec la victoire incompréhensible d’Elizabeth Deignan, et pour les hommes. Une différence notable. Un parcours détrempé.
Elizabeth Deignan, l’anglaise de 32 ans, 2ème aux JO de 2012, à Londres, a aussi remporté Les Strade Bianche, le Tour des Flandres et a décroché l’or aux championnats du monde 2015. Bref, une championne.
Mais ce que nous avons vu samedi n’est pas, à mes yeux, l’œuvre d’une championne mais d’une extraterrestre. Faire 75 % du parcours d’une course comme Paris-Roubaix seule en tête et ne pas perdre de temps sur les 30 derniers kilomètres à quelque chose d’inacceptable.
Soit derrière on s’est carrément sabordé, soit je ne sais pas ! Je n’arrive à me résoudre au fait que Marianne VOS, malgré son dernier rush, n’ait pu reprendre que  quelques dizaines de secondes  à « Lizzie ». La seconde du dernier championnat du monde a pourtant écœuré et lâché Elisa Longo Borghini, une autre ex-championne du monde. Incompréhensible…

On me rétorquera que le sémillant Jacky Durand, désormais commentateur sur Eurosport, avait en son temps remporté un Tour des Flandres après plus de 200 km d’échappée. Mais ils étaient quatre au début de l’échappée et avaient pris…22 minutes d’avance ! De plus, le troisième, premier du groupe de contre, Van Hoydoonck, finit à …1 minute et 44 secondes.
Rien à voir.
Samedi dernier, l’anglaise a réalisé une course jamais vu dans l’ère du cyclisme moderne. Un pied de nez à la logique et aux règles centenaires de ce sport. Une victoire à la Merckx.

Le « cas » Colbrelli
On l’a déjà écrit, nous avons un problème avec ce coureur.
Cet ex-sprinter de peloton est devenu, depuis un an, irrésistible, comme la majorité des coureurs du team Barhain-Victorius. 31 victoires cette année et …16 en 2019. Nous avons occulté 2020 pour des raisons évidentes. Un joli sursaut, donc, même si en 2018, l’équipe avait 31 victoires. Mais avec un Vincenzo Nibali encore très vert.
Hier, Sonny Colbrelli vient donc d’ajouter à ses « qualités » de sprinter et fraîchement grimpeur (cf. tour de France 2021) celles de rouleur. S’il a magnifiquement joué le coup à Roubaix, en profitant de l’immense naïveté de Van der Poel (Mathieu n’avait pas de directeur sportif hier ?!?), Colbrelli paraissait particulièrement en forme hier. Et ça fait un bout de temps que cela dure. D’ailleurs, sans un exploit fracassant de Jullian Alaphilippe, le récent champion d’Europe serait peut-être aussi déjà champion du Monde…
Rappelons que le garçon de 31 ans fait largement sa meilleure saison.
Et tout cela ne gêne personne.
Alors s’il est bien difficile d’accuser sans preuves, heureusement, nous nous permettons de douter fortement de la transformation tardive d’un honnête coureur en un champion irrésistible.

La pluie…
Autre sujet, la pluie. On savait depuis la veille que nous allions avoir affaire à une boucherie.
Les filles en avaient fait l’amère expérience avec des scènes surréalistes où l’on a vu parfois 4 ou 5 d’entre elles tomber au même endroit, l’une après l’autre. Nous partons du principe qu’elles savent faire du vélo, donc ces chutes étaient inévitables. Cela n’a aucunement gêné les organisateurs de les lancer dans la gueule du loup.
Oui, on sait, c’est Paris-Roubaix et il y a fort à parier qu’elles–même avaient très envie d’y aller mais parlez-en à Annemiek Van Vleuten qui s’est fracturée le bassin au carrefour de l’arbre…
Hier, chez les hommes, au-delà d’une forme « exemplaire », on se demande si ce n’est pas le plus chanceux qui a gagné.
On a assisté, en tant que spectateur à un spectacle saisissant. Il y a dû y avoir une bonne centaine de chutes. Hinault disait de Paris-Roubaix que ce n’était pas du vélo. Il a à moitié raison.  Demandez à Gianni Moscon, l’ennemi public n° 1 du peloton ce qu’il en pense. Le caractériel italien avait probablement course gagnée avant de crever puis de chuter. Quant à Florian Sénéchal, jamais il n’aura pu défendre ses chances après une double crevaison.
Alors, si les coureurs ont pris le départ d’un Paris-Roubaix détrempé malgré les risques, nous restons sidérés de voir qu’en matière de protection, toujours rien à l’horizon.
Aujourd’hui, ça doit couiner un peu partout dans les équipes. Les gros et petits bobos doivent être légion. Bien sûr, le vélo est un sport fait de souffrances, d’exploits et de drames mais où est la limite ? En tant que spectateurs, qu’attendons-nous ? Déjà, voir Moscon perdre sur un coup du sort est, malgré le personnage, un crève-cœur et une vraie injustice.
Mais voir tous ces champions se fracasser au sol, comme promis, a un nom :  c’est du voyeurisme qui ne dit pas son nom.
On est véritablement aux jeux du cirque. Car il n’en faudrait pas tant que cela pour qu’un coureur perde la vie sur les pavés trempés.
Alors, de deux choses l’une, soit on veut que Paris-Roubaix garde cette particularité en continuant d’intégrer cette partie loterie et cette dramaturgie liées aux blessures et aux chutes des coureurs, soit on imagine, avec le recul nécessaire, la prise de quelques décisions qui assurerait l’intégrité des coureurs. On peut même rêver que des gens comme Michelin, Hutchinson ou Continental présentent enfin des pneus increvables dotés du même rendement que les tubeless et boyaux actuels.

Participer, un choix délibéré ?
Quand on voit que seul Bernard Hinault a osé un jour critiquer publiquement cette course, on peut se demander si d’autres, moins célèbres et moins « grande gueule » n’ont pas été du même avis mais ont dû se résoudre à participer à ce monument du sport cycliste contre leur gré.
Alors, loin de mois d’en vouloir à Paris – Roubaix. J’ai même été enchanté de participer à la 1ère Edition de Paris-Roubaix Challenge (en compagnie de d’Andrea Tafi).
J’ai d’ailleurs, comme tous ceux qui se sont alignés, été sidéré de la violence des secousses issues des pavés.
Et s’il est évident que cette course tire sa substantifique moelle justement de tous ces impondérables qui la rende si imprévisible, on se dit que protéger les coureurs n’est pas forcément un crime de lèse-majesté.
Parfois, afin de pousser le bouchon plus loin, je me demande comment chacun d’entre nous réagirait si un jour, dans notre « travail », notre patron nous disait :
– « Aujourd’hui, c’est spécial, il a gelé dans les bureaux, plus de chauffage. Tout le monde s’habille chaudement et au boulot. Attention quand même, il y a du verglas dans quelques couloirs ! Mais ce soir, celui qui ne sera pas tombé aura une belle prime ! »
Imaginez la scène…!

Un monument, un vrai…
Bref, Paris-Roubaix est une course d’un autre âge quand il pleut. Comme le Tour des Flandres.
On l’attend, on s’installe dans notre canapé pour voir ces gladiateurs des temps modernes nous offrir un spectacle qui dépasse, et de loin, celui d’une simple course cycliste. Un plaisir non dissimulé, pour être honnête…
Mais rien n’empêche de nous poser quelques questions et, une fois n’est pas coutume, nous mettre à la place de ces hommes et ses femmes, qui pour un pavé, sont prêts à relever tous les défis et prendre beaucoup de risques.

Chapeau bas.

RJ

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