En avoir ou pas...

En 16 années d’éditos de l’Acheteur Cycliste, certains ont pu choquer, d’autres rassurer et enfin, d’autres encore vous ont conforté dans l’idée que nous vivions une vie de fous!
Un édito, un vrai, c’est la vie d’un media.C’est l’outil qui vous permet de juger si celui que vous lisez mérite votre confiance.
En voici quelques uns…

 

MARS 2011
Complice ou ignorant ?

Depuis que l’Acheteur Cycliste magazine existe, nous pensons qu’aller voir et discuter avec des constructeurs permet de mettre en exergue leur travail et justifier, de fait, le prix parfois exorbitant des vélos modernes. Non seulement on a assez vite fait de deviner ce qu’ils fabriquent ou non, mais de plus, cela étoffe notre bagage technique et nous permet de juger au plus juste le niveau de performance de chacun d’eux. Ce qui nous permet donc de vous mettre en main les meilleures cartes pour acheter en connaissance de cause. Mais depuis deux ans, le cheptel des constructeurs régresse à vue d’œil. Il ne vous aura pas échappé que ce sont les Italiens qui s’en sortent le mieux. Nous parlons des artisans, pas de ces ersatz de constructeurs qui tentent encore et toujours de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Curieusement, nos relations avec eux sont assez tendues. Ils savent que nous savons et chez ces gens-là, quand on ne tourne pas dans le sens de la mascarade, les sourires se figent. Pourtant, tout le monde a compris depuis longtemps que si Specialized, Wilier, Trek, Lapierre, Orbea, Cervelo, Kuota ou même Canyon ne fabriquent pas grand-chose dans leurs bases, ce n’est pas infamant. It is the law of business ! Bien sûr, on préférera, dans l’esprit, s’offrir le De Rosa King 3 RS sur mesure, le Time RXRs Ulteam, le Colnago C59, le Moser 001 sur mesure, mais ce n’est pas le même prix… Aujourd’hui, un constructeur est d’abord un créateur, un acheteur et enfin un assembleur. Il n’y a même pas de moteur à bâtir, comme en automobile. Du coup, beaucoup de vélos proviennent du même endroit, voir des mêmes usines ; Taiwan pour les bons, Chine, Malaisie ou Cambodge voir Vietnam pour les « mauvais ». Le savoir-faire du carbone et surtout la main-d’œuvre à vil prix se trouvent là-bas.
Mais, tous ensemble, nous pouvons changer la donne. De toute façon, le virage est déjà pris. Ce n’est qu’une question de temps. La crise s’installe durablement. S’offrir un beau carbone en provenance d’Asie, c’est enfoncer un clou de plus dans le cercueil des Européens. Ceux qui travaillent. Peut-être celui d’un de nos amis, de notre famille voire de nos enfants. À quoi ça rime, tout ça, si c’est économiser peut être 1000 euros d’un côté pour en faire perdre 2000 par mois à nos proches ou a nos congénères européens, avec qui nous sommes tout de même dans une compétition plus saine, plus juste, que celle avec ces « esclaves » asiatiques des temps modernes ?
À rien.
Mais comme d’habitude, pour changer les choses, il faut s’y mettre à plusieurs. Et arrêtez de se voiler la face. Un Daccordi, Un Casati, Time français, un titane de CMT, de Nevi ou même de Bianchi, voilà un choix raisonné. L’autre jour, j’ai regardé mon « parc » à vélo. Bizarrement, j’avais deux titanes, deux aciers et un carbone ! Soit quatre vélos sur cinq fabriqués en Europe ! J’étais fier de moi. Et franchement, il y a de quoi pédaler dans de bonnes conditions, et parfois de fabuleuses conditions. Bien sûr, le reste de l’équipement, à commencer par les groupes, ne permet pas (encore ?) le même raisonnement. Mais soyons prêts. Aujourd’hui, Tiso se démène pour fabriquer des dérailleurs en Italie. Rotor s’occupe des plateaux. Look et Time font les pédales. Aero Zenith fait entièrement ses roues en France, Corima de nouveau aussi. Stronglight s’occupe des pédaliers et des plateaux. Les Italiens savent faire d’excellents cintres et des potences en aluminium. FMF ou Veloflex s’occupent des boyaux. On n’est pas loin de notre vélo européen, non ?
Alors soyons cohérents. On veut revoir des constructeurs, des vrais ? On veut pouvoir de nouveau discuter avec des types qui savent ce que veut dire « fabriquer » un vélo ? C’est possible. Mais ces types-là, il faut les supporter. Quitte à les « engueuler » quand le travail n’est pas parfait. Mais ça, c’est une attitude responsable, créatrice de richesses et qui fait la part belle à la création, la vraie.
Les vélos aux yeux bridés, qui reviennent à quatre francs six sous et que l’on nous met sous le nez pour des milliers d’euros ne sont qu’un au miroir aux alouettes.
Et si vous avez du mal à vous passer d’une machine qui a gagné le Tour de France ou Milan-San Remo, pensez aux « petites » mains qui les fabriquent. Embrumés dans leur nuage de carbone, les poumons pleins de solvant ou d’une résine qui collera leurs bronchioles aussi sûrement que les fils de carbone…
En général, ça marche.

RJ

JUILLET 2011
Mon  vélo de « pro » à moi…

Il n’y a pas si longtemps, avoir « mon » vélo de pro à moi relevait du rêve.
J’avais bien eu quelques touches, notamment chez Orbea, il y a quelques années mais entassés dans un coin, presque sans respects, les pauvres destriers de l’équipe d’Euskaltel m’avaient paru nettement moins fringant qu’aux mains d’Iban Mayo et les autres.
Et puis je me suis retrouvé il y a un mois chez France Cyclisme, la structure professionnelle du Team AG2R, dirigée par Vincent Lavenu. Lors de notre visite, nous finissons dans « l’atelier ». Et là, le coup au cœur, presque un coup de foudre !
Dans un ordre impeccable, visiblement traité avec amour par Gilles Martinet, je découvre le trésor du « team », une bonne partie des vélos utilisés par l’équipe depuis trois ans !
Des lignes de Décathlon titane, BH G3 et G4 et de Kuota KOM en veux-tu, en — voilà ! Comme si on m’avait ouvert les portes de la réserve du marchand de bonbon de mon village, que j’ai toujours rêvé de dévaliser, lorsque j’avais 7 ans !
Les vélos de Nocentini, Stéphane Goubert, Jimmy Casper, Cyril Dessel, Nicolas Roche ou Martin Elminger sont là, sous mes yeux. Ils ont atteint et vu des sommets que je ne verrais jamais, ont subi des assauts furieux que jamais je ne pourrais leur refaire subir et ont côtoyé, outre leurs propriétaires d’alors, quelques-uns des très grands du cyclisme modernes. Chacun d’eux arbore une superbe « plaque » où est inscrit le nom de celui avec qui ils ont souffert le martyre mais aussi partagés l’ivresse de la victoire.
Leur ADN est gavé d’émotion…
Impossible de repartir d’ici sans l’un d’eux. Durant nos discussions avec Vincent Lavenu, une partie de mon esprit est en train d’analyser les coureurs du Team et de jauger ceux qui ont à peu près ma taille. Dans ma tête, mon cerveau se livre à une véritable étude posturale « inversée » ! J’aurais bien aimé celui de Nocentini mais questions mensurations, il serait mieux allé à mon fils de 10 ans qu’à moi !
Et puis je flashe sur mon favori naturel : Martin Elminger, le Suisse. Double champion de suisse, vainqueur, entre autres du Tour Down Under, en Australie, ou encore des quatre jours de Dunkerque. Toujours dans les bons coups, il a fait un nombre de places important dans les 10 premiers de grandes Classique comme Milan – San Remo ou le Tour des Flandres. Un vrai rouleur, un dur au mal, et un coureur très puissant. Et pourtant, le bonhomme ne mesure « que » 1,81 m. C’est-à-dire 9 cm de moins que moi. Rédhibitoire, normalement. Sauf que je sais que les trois quarts des « pro » sont taillés comme Adriana Karembeu : ils ont des cannes d’1.30 mètres ! C’est injuste pour nous, pauvres rampants anonymes, qui tentons benoîtement de mettre du braquet avec nos entrejambes de hamsters mais c’est ainsi ! Pour être bon à vélo, il faut être tout en cannes. Bref, je subodore que ces 9 cm ne vont pas être un problème. D’autant qu’en longueur, le ratio s’inverse, bien sûr. Mais là encore, la fée clochette a frappé ! Car en plus, ils sont souvent souples comme des lianes, ce qui leur permet de se coucher sur leurs vélos, d’où la célèbre expression, et donc d’utiliser des potences longues. Largement de quoi faire le joint entre mon grand buste trop droit et le sien, profilé comme un missile.
Je repartirai donc avec son, euh, mon KUOTA KOM Ag2R. Parce que je le vaux bien !
Eh oui, dans le coup de foudre, il peut y avoir une part de réalisme, même caché. Et le KOM, je le connais bien. Un super vélo.
Et si je vous raconte cette histoire, c’est que des vélos, chez eux, il en reste plein !
Et il y a peut-être le vôtre…

Bonnes vacances à tous. Quant à nous, on se retrouve le 30 août.

Richard Jamin

MARS 2012
Appel aux armes !

À l’heure ou nos « élites » sont prêtes à tuer père et mère pour goûter à
L’ivresse du pouvoir ou de continuer de s’en repaître.
À l’heure où l’on ne s’occupe que des entreprises syndicalisées, qui crient haut et fort leur refus de la délocalisation, pour s’acheter une conscience et qui n’achètent bien souvent que chinois, quotidiennement.
À l’heure ou Renault s’en va au Maroc, etc., etc.

À cette heure-là, des artisans de génie risquent fort de mettre la clef sous la porte.
Et tout le monde s’en fout. Ou non. Certains œuvrent pour faire comprendre à tous que l’on peut fabriquer des merveilles de technologies et d’ergonomie à un tarif inférieur aux hauts de gamme asiatique…
François Kerautret et son frère risquent fort, en 2012, de produire leurs dernières machines. Et pourtant, le carnet de commandes n’est pas le seul en cause, loin de là.
Tout comme Olivier Scuka, (Alex Singer) qui m’expliquait récemment qu’il était devenu impossible de fabriquer un vélo français, François Kerautret, le dernier constructeur français (il fabrique 80 % des pièces de ses vélos), est à limite de l’étranglement. Pour une raison accablante de banalité : plus personne ne veut lui « faire » ses pièces ! Ses tubes d’aciers, réalisés selon certains pourcentages de métaux et d’alliages, pour répondre aux mieux à l’exigence d’un cadre, c’est fini. Ses rayons « aéros », (extraordinaires) jusqu’alors réalisés par Sapim mais selon ses plans : terminés ! Et le reste est à l’avenant. François Kerautret, c’est 40 brevets déposés pour aller tutoyer le vélo idéal. Terminé aussi.
Mais quoi ? Qui lui en veut à Kerautret ? Il produit 120 vélos par an ! Et le double de roues.
Mais pas n’importe lesquelles. Alors, vaut mieux le laisser (le faire) Disparaître ? Paranoïa de l’artisan de Six-Fours ou réalité de marché ? Des fois que trop de clients ne s’aperçoivent que créer une « machine à pédale », en France, dans les règles de l‘art, peut donc coûter le même prix, voire moins cher, qu’un très bon carbone asiatique ?
J’en discutais encore récemment avec mon frère, qui sillonne les exigeantes routes du Nord de la France et de la Belgique. Paris-Roubaix Challenge, Tour des Flandres « cyclo », le « Kero » demeure une exceptionnelle machine. Pour un cycliste qui a tout eu, ou presque (Peugeot, Pinarello, Vitus, Colnago, Dean, Canyon, etc.), a usé ses cuissards tendant 10 ans en compétition amateur FFC avant de devenir un cyclosportif aguerri, le verdict est fiable…
Voilà, Kerautret risque fort de disparaître. Deux hommes, deux artistes, deux purs « mecs » vont se retrouver dans la tourmente. Des moments durs dans une vie d’hommes. Et il n’y aura personne pour les soutenir, ne serait-ce que pour le moral.
Voilà ou nous en sommes. Comme ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande ne vont aller le voir pour lui sauver la mise, je vous propose une chose : Envoyer leur tous une lettre. Pas un mail. Prenez quelques minutes de vitre temps juste pour leur dire qu’on est avec eux.
Qu’ont à partager leur rêve, qu’on a « bavé » » sur leurs machines, inaccessibles pour beaucoup, mais si fabuleuses.
Et leur dire nos encouragements. Que la vie réserve aussi, parfois, de bonnes surprises. Et que peut-être, un « grand » constructeur comprendra qu’on ne peut laisser ces deux gars – là sur le carreau.
Alors, Messieurs les « constructeurs », si d’aventure il vous prenait l’envie de mettre dans votre gamme un vrai vélo d’exception, vous savez ou le trouvez…

Richard Jamin